
Fermons un instant les yeux sur le triste spectacle offert par nos gouvernants, allant parfois jusqu’à l’obscénité la plus déroutante. Fermons-les encore sur ces archaïsmes politiques ou ces pratiques économiques d’un autre âge. Tout cela, oublions-le, l’instant d’un moment. Mettons de côté encore ce que nous savons déjà: notre chère Algérie, autrefois terre des hommes et femmes libres, ligotée dans un temps politique en suspens.
Il demeure néanmoins quelque chose qui nous fait écarquiller les yeux: la jeunesse algérienne et son avenir. Brimée de ses potentialités et systématiquement humiliée, la jeunesse de notre pays demeure tourmentée quant à son futur. Et lorsqu’elle demande des comptes à ses gouvernants, elle est tantôt “matraquée” pour avoir trop revendiqué, tantôt muselée afin de ne pas pouvoir revendiquer.
Dans ce tableau sombre, mais ô combien réel, nous, membre du mouvement Ibtykar, nous refusons d’abdiquer face au statu quo. Nous refusons la démission devant cet état de déliquescence. Nous excluons l’idée d’abandonner le navire Djazair au milieu de la tempête. Par le sens du devoir et le dépassement de soi, nous nous imposons l’espoir d’une renaissance émancipatrice.
Jeunesse algérienne - celle vivant au pays et ailleurs dans le monde-, voici notre intime conviction : “il n’y a rien à attendre du Système que nous ne puissions-nous offrir à nous-mêmes”.
C’est à nous d’arracher ce qui est censé nous appartenir. C’est à nous de nous réinventer avant de réenchanter l’Algérie. C’est à nous de nous unir, femmes et hommes, autour de notre devenir commun afin de mener le navire djazair à bon port, et d’accoster sur les rivages d’une terre à l’image de nos aspirations : prospère, dynamique, égalitaire et ouverte sur le monde.
Mettre l’ibtykar au cœur de notre engagement
Pour réaliser cette entreprise collective, nous avons mis l’ibtykar – l’innovation- au cœur de notre engagement. Harakat Ibtykar est un mouvement citoyen et politique transgénérationnel qui mise sur l’inclusion, la collaboration et l’innovation de la jeunesse algérienne. Ibtykar est donc ouvert à toutes les personnes et associations, et travaille en lien avec les partis qui partagent un objectif commun; celui de contribuer à la mise en place d’une République algérienne démocratique, pluraliste, sociale, moderne, ouverte et connectée au monde.
Que les jeunes algériens se le tiennent pour dit : sans leur engagement politique et l’émergence d’une citoyenneté vertueuse, notre avenir et celui de notre pays sont condamnés d’avance.
Nous devons nous engager dans un nouvel engagement pour l’Algérie. Et ceci passe par la réappropriation des fondements de la pensée critique, le renouement avec l’exigence du travail, la lutte pour les causes justes incluant l’égalité homme-femme, et l’amour pour sa communauté et sa patrie.[1] En somme, nous devons nous réinventer en tant que citoyen avant de réinventer notre celui du pays.
Si lors d’une époque non lointaine, nos grands-parents avaient su mobiliser les ressources intellectuelles, spirituelles et surtout politiques pour mettre à mal le colonialisme et se réunir autour d’un projet d’indépendance, nous devons aujourd’hui moins célébrer la gloire de leur victoire historique que saisir l’audace qui les avait animés et l’élever en référentiel pour réaliser nos aspirations.
Vivre pleinement sa citoyenneté
Au cours de la dernière décennie, la citoyenneté en Algérie a été évincée au prix fort: celui de la rente pétrolière. L’embellie financière qu’a connue l’État a véritablement annihilé l’émergence du citoyen, lui préférant la figure docile du client. Coincée dans ce système “Client-État”, la jeunesse algérienne continue, encore et toujours, d’être infantilisée par le système, se retrouvant à chaque fois méthodiquement écartée des décisions politiques.
Si ce clientélisme a été ravageur d’un point de vue économique, il aura été davantage au niveau politique. N’est-ce pas, de tous les grands et moyens vices de ce système, celui qui affecte de plein fouet l’avenir de l’Algérie et sa jeunesse ? Celle-ci a nourri une répugnance grandissante quant au politique comme chose publique, précipitant les démobilisations et les désengagements.
Comment peut-on alors renouer la jeunesse algérienne avec le politique? Nous avons la profonde conviction que la citoyenneté est un vecteur d’enrichissement du politique. Le numérique sera le moyen - et non la fin- par excellence pour construire une citoyenneté active, engagée et fluide. C’est en tous cas le chemin que nous avons choisi pour redonner à la politique, dans notre cher pays, ses lettres de noblesse.
Dans cet ordre des choses, il est nécessaire de mieux circonscrire ce que nous entendons par citoyenneté. D’abord, celle-ci n’est pas seulement un statut conféré par la nationalité ou une appartenance à une communauté liée par des droits. Si dans les sociétés démocratiques, la citoyenneté donne accès à des droits politiques et exige des devoirs citoyens ainsi que le respect de la vie civique, nous ne sommes pas là encore en Algérie.
La citoyenneté reste avant tout un pari sur l’avenir pour la société algérienne, particulièrement sa jeunesse. Elle doit être davantage comprise comme un engagement et un processus d’appropriation d’un devenir commun, éminemment politique. La citoyenneté doit se réfléchir, se construire, mûrir avant de s’incarner en nous. Elle est donc aspiration, conduite et agir.
Traduire les engagements civiques et les revendications socio-économiques en actes politiques
Il y a eu ces dernières années un regain d’intérêt pour l’engagement civique de la part de la jeunesse algérienne. Des causes environnementales aux actions caritatives en passant par les activités culturelles de rue, les initiatives citoyennes fleurissent dans les quatre coins du pays. C’est un fait très positif qui mérite notre soutien et appui car ça permet notamment le renforcement du lien social et l’appropriation des espaces publics.
Sur une autre note, les revendications socio-économiques ne s’estompent pas. Les jeunes médecins résidents nous démontrent que la jeunesse algérienne sait occuper le champ de la contestation en disant “non” en ce qui concerne leurs conditions de travail délétères et la santé des algériens. Comme pour les initiatives citoyennes, nous devons être solidaires de leur lutte pacifique.
Mais, plus généralement, que doivent dire les jeunes algériens sinon que ces problèmes doivent être imputés à une gouvernance catastrophique? Et qu’en règle générale, ce sont les jeunes qui paient le prix le plus élevé.
Encore faut-il ne pas se tromper de diagnostic.
La jeunesse algérienne ne doit pas tomber dans le piège du système: celui de l’isolement des revendications socio-économiques de leurs caractères politiques.
Nous avons l’obligation de traduire les engagements civiques et les revendications socio-économiques en actes politiques.
En d’autres termes, il nous faut réduire l’écart entre des revendications et actions légitimes en exigences politiques et citoyennes. C’est seulement ainsi que le cercle vertueux de la citoyenneté et de l’engagement politique pourra s’enclencher, pour notre bien commun et celui de l’Algérie.
C’est précisément ce cercle vertueux que le mouvement Ibtykar aspire à faire émerger. Au sein de cette citoyenneté, nul n’y serait étranger. Nul ne serait considéré à la marge. Nul n’aurait besoin de dépendre des aléas de la rente. Toutes et tous jouiraient des mêmes droits et devoirs. Seul compterait ce que chacun apporterait pour le bien de tous. Évidemment, le sentier de cette citoyenneté sera escarpé et rempli d’écueils. Mais si la jeunesse algérienne n’a pas vocation d’imaginer l’avenir de son propre pays, elle s’instaurera, inéluctablement, des frontières infranchissables en son sein.
[1]: Ces quatre axes (penser, travailler, lutter et aimer) sont empruntés à Amin Khan, publiés dans son ouvrage collectif “Nous autres”.
Auteur : Raouf Farrah, analyste politique. Membre du mouvement Ibtykar Article publié par le Huffington Post Maghreb (lien)